CORPUS DOLORIS

Poétique de la douleur chronique

1.
LA DOULEUR C'EST...
(phrases moyennes mais pas mièvres pour autant - images mentales de la douleur - 2016)

La douleur, c'est la main d'une vielle, crispée, arthrosique, aux ongles cornus qui te grattent incessamment l'os du coccyx par en dessous. L'ongle le plus pointu te mange, te ronge littéralement l'os.


La douleur, c'est cette vielle chienne hargneuse qui montre les crocs et te suit, te frôle la jambe sur la route pour éviter que tu n'ailles de côté...mais te fait esquiver quand même par à-coups ses fausses attaques.


La douleur, c'est un combat d'énergie qui se trouvent sur des rings différents et tentent néanmoins de s'affronter. L'une tourne sur un ring trop petit, sue et pousse les cordes. L'autre court comme une folle et erre sur un ring trop grand.




2. 
LA DOULEUR C'EST...
(phrases courtes - expérience vécue et glanage d'écrits extracorpus meus - 2016) 

La douleur c'est le chien de ton inconscient : 'ttsssss tsssss'. Tu l'appelles, elle vient.


La douleur c'est : j''aurais préféré de ne pas me souvenir mais...'


La douleur c'est ma grand mère qui me parle à travers l'adn.


La douleur c'est celle qui te dit 'tu vas t'arrêter maintenant ! Fais pas semblant que ça va, que tu peux continuer, maintenant t'arrêtes !


La douleur c'est : 'c'est bien d'être altruiste, mais y'a un moment où faut que tu te regardes en face'.


La douleur c'est un tiraillement, c'est la mésentente intérieure'.


La douleur c'est : 'je voulais pas te le dire, en fait, tu sais, je peux pas porter tout ça'.


La douleur c'est le mur de brique que tu casses à coups de masse dans ta tête.


La douleur c'est une petite fille assise à la table d'une cuisine, à qui on ne dit pas la vérité pour la protéger.


« La douleur est une masse d'énergie dont la puissance est contenue dans un lieu trop petit, serré, exigu. » Galien


La douleur gravative, tensive, pongitive, pulsative, lancinante, prurigineuse, brûlante, la douleur mordicante, corrosive, aigüe, chronique, neurogène, psychogène...

La douleur est sans gêne.


La douleur c'est une période transitionnelle de la métamorphose, entre le point a et le point x.


La douleur tu marches dessus comme sur un fil, comme sur un nerf sciatique...tu tentes de tenir l'équilibre et tu sais pas si tu vas tenir tout court ou de quel côté tu vas basculer.


La douleur c'est l'amplitude du millimètre de mouvement qu'il t'es permis de faire.


« Monsieur Galien, la douleur appartient-elle uniquement au sens du touché ? »

La douleur c'est : LANCER SONS chants vibratoires.

Les larmes c'est bien, quand elles sortent, la douleur s'est un peu déplacée. Elle est passée en partie à l'état d'émotion.

La douleur c'est ta compagne de vie la plus présente ?

La douleur gravative... elle donne une impression de pesanteur extrême ou de présence d'un corps étranger.

La douleur pulsative... elle perce des trous, creuse des galeries. Elle est perforante.

La douleur pongitive est accompagnée d'un sentiment aigu semblable à un corps dur et pointu qui pénètre la partie douloureuse. Sensation de chairs meurtries. La douleur tend à pénétrer profondément dans les tissus.

La douleur tensive, tissus, torsions, distendu, tordu, luxation, torture.


La douleur, c'est une histoire de distances… voire de millimètres.



3. 

BESTIAIRE INTERIEUR DE LA DOULEUR CHRONIQUE


A. Méduses dans le mollet droit

Il y a des tas de méduses agglutinées dans mon mollet droit. Elles bougent, elles se bousculent. Leurs tentacules lancent leur venin électrique, ça se bouscule dans le mollet droit.
Il n'y a pas assez de place pour tout le monde. Il va falloir faire de la place. RRRRRROOOOOO RRRROOOOOOOOOOO RRRRRRROOOOOOOOO RRRRRROOOOOOO  J'ai dit 'il n'y a pas assez de place pour tout le monde'. Il va falloir faire de la place.
ZZZZZZZIIIIIIIIHHHHHHKKKKK SSSSSSIIIIIIIIHHHHHKKKKKKK C'est le moment du départ, de la transhumance des méduses. RRRRRRRRRROOOOOOOOO RRRRRRRROOOOOO Il va falloir faire de la place. Il n'y a pas assez de place ppour tout le monde. C'est le moment. c'est le début de la transhumance des méduses. RRRRRRROOOOOOOOO IL N'Y A PAS ASSEZ DE PLACE POUR TOUT LE MONDE J'AI DIT : c'est le moment du départ de la transhumance des méduses HHHHHOOOOOOOOUUUUUUUUUUUUUUUuuuuuuuuuuoooooooooouuuuuuuuuu
L'océan est vaste, assez de place pour chacune d'entre vous, mes chères méduses. HHHooooouuuuuUUUooouuu. RRRRRRRRROOOOO c'est le moment du départ, de la transhumance des méduses.
Les méduses sont des montgolfières. Elles prennent les courants marins, les montées de pression comme des courants d'air chaud. HHHHHoooouuuuooUUUOouuu. Les méduses sont parties en transhumance. Elles ont pris des courants, des tracés, des chemins marins. Leurs tentacules dansent. Ou valsent. Ou swinguent. Frétillent, crachent leur venin plus loin...chacune à sa place.
Ca respire dans les fonds marins. Et ça respire dans mon mollet droit.
Vive la transhumance des méduses.


(2016)



4. 

LES DOULEURS DES AUTRES INTRA CORPUS MEUS - La tristesse à facettes

1.



Dialogue avec ma grand-mère



Elle a fait tourner
            / J'étais assise les yeux fermés
la sphère en verre aux facettes,
            /à pleurer encore la douleur
le poids tiré vers le bas,
            /Je respirais lentement, laisser tomber
retenue par un fil de coton
            /le poids des viscères au creux de mes reins
et une punaise enfoncée dans le bois peint.
            /cette longue descente me brûle à chaque fois
Les reflets de fête sur les livres fermés
            /l'arrière de la jambe droite -cuisse-
            - genou-
            -mollet- parfois.
d'un des deux bureaux désordonnés
            /Sans savoir, j'ai ouvert les yeux
offrent une piste de danse triste.
            /Mon coeur s'est serré – peur-
Elle était main invisible
            /Je ne suis pas seule.
qui, d'un touché silencieux
            /Je suis triste encore
avait la            ncé le mouvement lumineux
            /d'une profonde tristesse
d'une sphère presque angélique
            /d'un gouffre vertigineux
aux rayons miroirs carrousel
            /je voudrais hurler, dégorger ce qui ne m'appartient pas !

Est-ce à toi ce poids, cette tristesse infinie qui soulève mon abdomen ?

 

2016


2. 
à mon père 






Il est un homme volatile.
Comme quand on lâche une montgolfière, que les câbles qui la retenaient à terre étaient sectionnés pour être plus tard rattrapés et raccrochés avec d'autres câbles d'acier coulés dans du béton. Alors la montgolfière tourne au gré des vents, mais dans un périmètre restreint ou bien sur elle-même, à s'en tortiller les câbles. Alors on attend. On attend que les vents changent ou bien on désentortille les câbles, et ça remue la terre de soulever les masses d'acier et de béton. Mais ça soulage un peu. En fait, seulement si l'on à la position précédente... Comme si la montgolfière était aveugle !? Comme si elle ne se souvenait pas des paysages qu'elle a vu défiler dessous ses courbes, les sillons scintillants des ruisseaux, les remous des vagues oscillants sur les océans, les cieux d'aube chaude de rosée perlée sur les nuages, ceux d'orage à électrifier la cime de son corps presque sphérique, ceux d'arc-en-ciel conduisant vers un coucher de soleil qui plaît tant aux rêveurs et rêveuses, et ceux de nuit noire qu'on appelle blanche parce qu'on attend, les yeux aveuglés par l'obscurité, de percevoir une quelque lumière, même lointaine.
Comme si elle ne se souvenait pas des vents, des charges plus ou moins lourdes, colorées, grisâtres, lumineuses qu'elle a porté. Des vies qu'elle a bercé, des sourires émerveillés et des rires qu'elle a tenu au plus profond d'elle-même. Comme si elle avait oublié comment sa toile s'est épaissie au fur et à mesure des gifles de vents ; comment elle s'est resserrée pour ne pas laisser passer l'eau, pour les couvrir et les protéger tous et toutes, qu'elle portait au creux de son panier. Elle n'a pas oublié non plus sa première toile : brillante, tissée et cousue d'une main fragile et sévère à la fois. Elle n'a pas oublié les premiers raccords, les pansements de couleurs, invisibles aujourd'hui à l'oeil nu parmi d'autres déchirures recousues - cicatrices tout le long de son corps globe ou horizontales entre deux accroches câblées. Elles ne les comptent plus. Elle ne les conte pas non plus ou très peu : les empruntes disent déjà tant.
Et elle sait les liens qui, invisibles, se tissent entre sa toile, les flammes, le brûlant de son centre et ces câbles d'acier coulés dans le béton.
Ces liens dont elle ne parle que très peu, du brouillard qui s'est emparé de l'air ambiant, qui a réduit sa vue, du vent qui s'est agité, l'a renversée, poussée, fait tournoyer, divaguer, dériver... Et son panier s'est peu à peu délesté des sourires, de la douceur des regards admiratifs. Il y a eu un éclair ! Il a touché sa toile comme le tranchant d'une épée à peine sortie de la braise par le forgeron.
Un trou noir. Une tornade s'est immiscée dans la fissure, jusqu'au centre de son feu. Le tourbillon a l'intérieur lui a donné le mal de l'air et à l'extérieur, on pouvait voir, à travers le brouillard, la montgolfière se débattre et s'abattre dans le ciel, chuter à quelques mètres du sol puis repartir en vacillant dans les airs... son panier vide.
Elle a erré longtemps. Elle a un jour trouvé les mains fragiles et autrefois sévères, alors affaiblies. Elles se sont ouvertes à elle. Du bout des doigts, elle ont tissés à nouveau, elles ont rallumé le feu au centre de la montgolfière, lentement.


2016


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